La
placette - La place Dutertre à la Basetta
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D'autres
vous diront qu'il faut écrire : l' "Albaceta", et ils ont
sans doute raison.
Mais cela n'ajoutera pas grand chose à cette petite place, que d'autres
appeleront encore place du Tertre, peut évoquer à vos yeux.
Juchée tout en haut de Bab-el-Oued, elle a
l'air de faire partie d'un autre univers que le notre.
Le
vent y souffle souvent, et il m'est arrivé quelques fois, en rêvassant,
les yeux mi-clos, sur les bancs rustiques abrités par l'ombre des ficus,
de me croire transporté entre ciel et terre, dans un autre monde où
je sentais plus léger et délivré des quotidiennes contingences.
Je pense que la chaleur et le bourdonnement du vent y
étaient pour beaucoup dans cette aventure aérienne que les cris
de la marmaille, s'ébattant sous les ficus, se chargeaient de ramener
à l'échelle terrestre.
Je
pense aussi que parmi les habitués de la place - vieux Espagnols aux
visages glabres et émaciés, "aouela", toutes de noir vêtues
et la tête éternellement enveloppée d'un foulard sombre
- nombreux étaient ceux qui vivaient mon aventure.
Il n'était que de les voir, assis en groupes silencieux,
les yeux perdus dans le vague, pour s'imaginer qu'ils étaient plus
près du ciel que de la terre. Ils avaient l'air d'attendre, résignés
et solitaires, la fin de cette journée qui n'était pour eux
que le prélude à la fin d'une existence désormais inutile.
A la Bassetta, tout prend un caractère exceptionnel
; les chants d'Espagne qui s'élèvent des maisons bordant la
place n'ont pas l'allégresse communicative d'un paso doble ; ils ont
la poignante mélancolie de quelque complainte lourde de souvenirs.
Le
vieux chevrier maltais, qui traverse le rue, suivi de deux chèvres
efflanquées, seules survivantes du troupeau bêlant qui parcourait
le quartier de Bab-el-Oued dans un joyeux tintement de sonnettes n'est là
que pour témoigner d'une époque disparue.
Les
lourdes "galères" qui descendaient des carrières Jaubert au
milieu des vociférations et des cris des charretiers en taillole rouge
pourrissent sous quelque hangar. Galoufa est motorisé. Les petits ânes
préposés à l'enlèvement des immondices ont émigré
vers la Casbah.
Des
maisons de plusieurs étages prennent la place des maisonnettes ; d'importants
garages remplacent les remises et le bon Musette qui venait souvent, sous
les ficus de la Bassetta aux rendez-vous de Cagayous, Chicanelle et de Monsieur
Hoc, vient d'avoir son effigie gravée dans un médaillon de bronze
plaqué sur une stèle d'où il assiste, indifférent,
aux ébats des gosses qui pour la plus grande tranquillité des
parents on a parqué dans un ravissant petit enclos.
Charles BROUTY. Rubrique "Alger d'hier... Alger d'aujourd'hui. La "Bassetta"". Echo d'Alger. 1952.